Houlà, un gros mot, c’est pas vendeur.
Mais force est de constater que c’est difficile de rester poli quand on parle de ce concept que nous subissons tous sans vraiment broncher.
Le terme « merdification » a été soumis par Lionel Dricot alias Ploum sur son blog (dont je vous recommande la lecture en cliquant ici) afin de proposer une version française du terme « enshittification » largement développé sur le blog de Cory Doctorow (ici en anglais).
C’est quoi ?
Quand on parle d’un service en informatique, c’est parfaitement légitime d’attendre que ça s’améliore. Les ordinateurs sont de plus en plus puissants, le réseau internet va de plus en plus vite, on a gagné en confort sur tous nos postes de travail. Qu’est-ce qui pourrait faire que ça ne s’améliore pas ?
La réponse, c’est le business-model largement utilisé à l’heure actuelle : le modèle de la Start-up :
- On a une idée pas mal et on s’active pour la mettre en œuvre.
- Le but c’est que ça rapporte vite et beaucoup et tous les moyens sont bons, même les plus abjects.
- On écrase (ou absorbe) toute forme de concurrence.
- Quand ça rapporte moins, on réduit les dépenses jusqu’au déni de service.
Quelques exemples :
Amazon dans les années 2000 proposait la livraison gratuite en 1 jour ouvré à tous ses clients. Maintenant qu’Amazon est imbattable, c’est livraison payante en 3 à 5 jours ouvrés. Sauf si vous payez l’abonnement.
Dropbox en 2010 filait 5Go d’espace Cloud et permettait de monter jusqu’à 10Go en parrainant d’autres utilisateurs. Maintenant c’est 2Go et jusqu’à 5Go avec le parrainage. Pour avoir plus il faut payer. Sachant qu’entre temps le volume de photos a explosé.
Netflix en 2010, c’était 1 mois gratuit et l’accès à tout le catalogue pour 5€ par mois. Maintenant, aucun mois d’essai gratuit, abonnement payants mais avec de la publicité et il faut rallonger les billets pour avoir la HD et une bibliothèque qui s’amenuise.
Instagram jusqu’à son rachat par Facebook en 2012 était un réseau social de partage de photographies sans publicité.
Il y en a plein d’autres. Chaque fois ils invoquent comme raison à cette merdification le fait qu’ils ont tellement d’utilisateurs qu’ils doivent restreindre leurs services pour que tout le monde bénéficie de la même qualité. Ou alors des raisons financières à peine crédibles quand on connaît leur chiffre d’affaire.
Mais ça peut aussi prendre d’autres formes
Lorsque l’on ne parle pas de service, on peut parler d’expérience.
Combien de fois avez-vous dû réapprendre à utiliser un logiciel parce qu’un gus quelque part dans le monde avait décidé de changer l’interface utilisateur ?
Combien de fois avez-vous cliqué sur de la pub « par erreur » lorsque votre mémoire musculaire vous faisait cliquer à un endroit précis de votre écran ?
Et tout ça pour quoi ? Pour un service qui n’évolue même pas voire qui s’empire : la nouvelle interface, les publicités et les traqueurs qui sont apparus ont rendu votre logiciel plus lourd, plus long à charger. Il faut changer d’ordinateur et repasser à la caisse pour faire… exactement la même chose.
Le champion dans ce domaine est Google Chrome. Lancé à l’origine comme étant un navigateur simple, léger et rapide, il a gagné des parts de marché au détriment d’Internet Explorer (qui était une belle bouse) et Firefox (qui était un peu long à démarrer). Maintenant qu’il est quasiment hégémonique, il est devenu plus lent, plus lourd. Il met davantage de temps à afficher une même page parce qu’il analyse tout ce qui transite.
Et le web va dans le même sens. Les sites que vous visitez et qui sont censés être optimisés sont en fait plus longs à charger qu’ils ne l’étaient dans les années 2000. Pour afficher du texte. Alors que l’Internet mondial a gagné en rapidité, que votre ordinateur est plus puissant et que votre connexion est de meilleure qualité.
C’est quoi leur projet à ces gens ?
Ils veulent des sous. Et puisque vous ne voulez pas leur en donner, ils vont fouiller dans votre vie privée pour revendre tout ce qu’ils savent sur vous à des publicitaires véreux.
Il n’y a pas de gentils parmi les capitalistes, ne croyez pas ceux qui vous disent le contraire.
Que faire alors ?
Y’a pas de fatalité : ça s’arrêtera un jour. On ne sait pas encore quand, mais ça prendra fin, comme toutes les bulles spéculatives de l’histoire du capitalisme.
En attendant, chacun peut agir à son niveau :
- En comprenant ce concept et en se méfiant des gros monopoles
- En éveillant les consciences partout autour de soi
- En choisissant des alternatives éthiques qui vont vers le mieux
- En contribuant à la culture commune :
- émancipation numérique (quittez et faites quitter les monopoles et apprenez à utiliser votre ordinateur sans eux)
- création de contenus (ouvrez un blog pour raconter votre vie plutôt que d’utiliser une plateforme)
- participation aux communs numériques (codez, traduisez, financez, partagez…)
On peut presque tout faire sur internet. Alors ne perdons pas notre temps à travailler gratuitement pour des panneaux publicitaires. Et ne leur donnons pas notre argent. Car s’il y a de l’argent à dépenser, il y a des projets qui le méritent.
J’en ai d’ailleurs testé quelques uns ici.