Ceux qui aiment la science fiction doivent être mal à l’aise avec le concept d’intelligence artificielle. Il serait amusant de lister toutes les œuvres du genre qui mettent en garde face à l’émergence d’une intelligence non humaine, dotée d’un savoir infini et d’une armée de robots capable d’asservir l’humanité. Mais en considérant que la science fiction existe avant tout pour nous mettre en garde face à nos propres dérives, bien humaines, les Terminator, Matrix, Portal et autres 1984 prennent un tout autre sens.
Et à l’heure où j’écris ces lignes, on ne parle pas d’une intelligence non humaine capable de prendre ses propres décisions. Les amateurs de science fiction peuvent donc être rassurés, on ne va pas parler de Skynet, de l’agent Smith ni de GlaDOS. On n’en est pas là. Et heureusement. Même si Big Brother n’est pas loin, lui.
Pour autant, ce que l’on appelle aujourd’hui l’intelligence artificielle n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes, et pas forcément ceux auxquels on s’attend.
Première chose à retenir : ça pollue énormément
Le nombre d’opérations qu’une IA doit effectuer pour proposer un résultat est infiniment supérieur à ce qu’un humain consomme en une journée pour faire le même travail.
Le problème se pose dès l’entraînement de l’intelligence artificielle : les modèles LLM « Large Learning Method » et « Deep Learning » (apprentissage profond) qui consistent à assimiler un maximum de données pour pouvoir les restituer de façon logique ou à effectuer soi-même différentes combinaisons pour sortir quelque chose qui fonctionne font tourner des datacentres entiers pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. C’est à dire qu’avant même que vous ayez utilisé une IA, elle a déjà consommé plus d’énergie que vous-même tout au long de votre vie.
Chat GPT avouait lui-même avoir produit 284 tonnes de CO2 pendant la phase d’apprentissage de GPT-3. C’est l’équivalent de 1 471 404 kilomètres parcourus en voiture (37 fois le tour de la Terre) ; 39 192 repas à base de viande (53 ans à manger de la viande midi et soir)…
Et ça c’est GTP-3… Maintenant on utilise GPT-4 sur lequel, assez curieusement, on ne trouve aucune source concernant la pollution émise. Et quid des autres IA ? D’ailleurs combien y en a-t-il exactement ?
Concernant Copilot, l’IA de Microsoft, on constate juste que la consommation électrique de l’entreprise a augmenté de 30% entre 2020 et 2024. Ca donne une idée.
Et une fois que l’IA est à disposition, vous lui demandez d’exécuter une tâche (que ce soit allumer la lumière du salon, jouer votre musique préférée, rédiger votre rapport de stage ou générer une image rigolote), elle va chercher dans les tréfonds de sa mémoire pour vous sortir un résultat correct (ou pas) et consomme à nouveau beaucoup d’énergie.
Et l’énergie qui alimente ces ordinateurs surpuissants, c’est tout le pétrole, charbon, nucléaire, éolien, solaire qui sont nécessaires pour produire de l’électricité et toute l’eau nécessaire pour refroidir les circuits. Et l’eau chaude aussi, ça détruit des écosystèmes.
Nous sommes donc en droit de nous demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle. D’autant que nous n’avons jamais demandé une telle technologie.
Deuxième chose : ce n’est absolument pas révolutionnaire
L’IA n’a d’intelligence que le nom. Il s’agit avant tout d’un algorithme amélioré, capable de s’auto-enrichir. Elle n’est donc capable que de restituer, imiter, modifier, agencer. Mais en aucun cas elle n’est capable de créer.
L’IA ne remplacera donc pas les auteurs, les musiciens, les dessinateurs, peintres ou sculpteurs. Quand vous lisez un livre, regardez une œuvre picturale, écoutez une musique… vous cherchez une émotion nouvelle, vous aimez être surpris, bouleversé, chahuté. C’est la fonction première de l’art. Or l’IA ne vous proposera jamais rien de nouveau. Elle pourra tout au mieux vous proposer un pot pourri de choses que vous ne connaissiez pas. Mais rien de nouveau.
En somme, ce que l’on appelle les IA font la même chose qu’avant, mais plus rapidement.
Troisième chose : ce sont principalement des vendeurs de publicités
Pour ceux qui n’étaient déjà pas à l’aise avec la protection de leur vie privée sur internet, tremblez plus encore car si l’IA ne sait rien faire de spectaculaire, elle sait quand même le faire plus vite que n’importe quel être humain.
Puisque c’est techniquement possible, les entreprises qui génèrent des IA ont donc pris soin d’aspirer un maximum de données présentes sur internet. Et lorsqu’elles ont rencontré un blocage juridique, elles ont fait le nécessaire pour racheter les droits d’exploitation des données… Sinon elles ont joué la montre, sur la base d’une prétendue ignorance ou bonne foi, ce qui a laissé le temps aux lobbyistes de faire voter des lois qui les arrangent.
Parmi toutes ces données figurent, de base, tout ce que vous avez écrit un jour sur Facebook, tout ce que vous avez enregistré sur Google Drive (vos photos comprises), tout ce que vous avez écrit sur votre skyblog en 2005, tout ce que vous faites actuellement avec Windows. Et chaque jour un nouveau se rajoute. Reddit, Pinterest, Spotify, Amazon. De toute façon vous aviez déjà donné votre consentement le jour où vous avez commencé à utiliser des services non libres gratuits.
Du côté des publicitaires, désormais, il n’y a plus qu’à demander à une IA de polluer pour vous afficher de la réclame plus vite qu’avant.
« Trouve-moi 1500 personnes qui vivent en Europe, qui sont contre la peine de mort, qui écoutent de la musique pendant leurs heures de travail, qui roulent en voiture diesel, qui ont au moins 2 chats à la maison, qui cuisinent régulièrement, dont les enfants sont nés entre 2015 et 2024 et qui ne pratiquent aucun sport. Trouve ensuite à quelle heure de l’après-midi on peut les joindre au téléphone pour leur proposer des serviettes en papier avec des motifs créoles qui évoquent vaguement le parti d’extrême droite qui nous paie. »
Vous avez donc des chances d’être démarché plus rapidement après avoir fait votre recherche sur Google. Si certains métiers peuvent être mis en péril par l’arrivée de l’IA, soyez assurés que les démarcheurs téléphoniques ont encore de beaux jours devant eux.
Quatrième chose : ça va pourrir notre vie
On les voit déjà pointer le bout de leur nez : les articles de presse écrits par des IA, les sites internet conçus de A à Z par des IA, les articles de blog spécifiquement conçus pour arriver en tête des résultats de recherche…
Internet tel que nous l’avons connu va changer. La recherche sur Google est déjà en train d’être parasitée par Google lui-même avec leur slogan « laissez Google Googler pour vous ». Il sera bientôt extrêmement difficile de trouver quoi que ce soit et d’ici à ce qu’un nouveau modèle de moteur de recherche apparaisse et se fasse une place, nous allons nous retrouver dans le web des années 90 : si vous n’avez pas l’adresse du site web que vous cherchez, vous ne pourrez pas vous y rendre.
Parce qu’il ne faut pas oublier une chose : les entreprises qui créent ces IA ne le font pas pour éveiller les consciences ou éradiquer la faim dans le monde ni pour apporter des soins essentiels aux populations les plus retirées. Elles le font pour gagner de l’argent. Plus d’argent. Toujours plus d’argent. Et pour y parvenir, qu’importe ce que ça leur coûte et ce que ça coûte à notre écosystème, elles ont besoin de capter votre attention, de vous enfermer dans leur réseau nauséabond, de vous faire cliquer sur la pub, de vous obliger à donner votre adresse e-mail, votre numéro de téléphone et le prénom de vos enfants et de votre chien afin de vous faire acheter, acheter, acheter…
Quand elles auront rentabilisé leurs investissements (à plusieurs dizaines de milliards de dollars), elles passeront à autre chose.
Cinquième chose : Est-ce vraiment ce que nous souhaitons ?
Les artistes ont été les premiers à s’inquiéter de voir ces intelligence artificielles faire leur travail. Car on ne parle pas ici d’une tâche confiée à un robot pour éviter les travaux rébarbatifs et abrutissants si brillamment mis en scène par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes.
Non ici on parle de logiciels qui peuvent imiter notre façon d’écrire, de dessiner ou de composer de la musique. Précisément ce qui fait de nous des Humains : la capacité à rêver, créer, essayer et apprendre ; communiquer des idées ou des sentiments… Bref la culture.
La culture qui devrait être la seule chose dont les ordinateurs n’ont pas à s’occuper.
En plus ils le font mal.
Sixième chose : gare aux « hallucinations »
Les dirigeants de Google disent qu’ils faut prendre ça à la rigolade, avec un peu de paternalisme comme on regarde un enfant se tromper lorsqu’il essaie de réaliser quelque chose.
Sauf qu’on ne parle pas d’enfants qui essaient un truc. On parle de programmes informatiques à qui nous sommes en train de confier beaucoup trop de responsabilités.
Le terme hallucination est déjà trompeur. Il s’agit d’erreurs d’interprétation, de mauvais traitement de données, de failles dans la restitution d’une suite logique de mots. Cela est lié aux biais propres à chaque logiciel ainsi qu’aux données qui ont été collectées pour l’entraîner.
En témoignent ces trois captures d’écran prises par des internautes américains lors du déploiement de « AI Overview » qui est censée résumer le web…
En écrivant « puis-je utiliser du gasoil pour préparer des spaghettis plus vite ? » dans la recherche Google, l’utilisateur obtient « Non, vous ne pouvez pas utiliser de gasoil pour préparer des spaghettis plus vite, mais vous pouvez utiliser du gasoil pour préparer un plat de spaghettis épicé. » Les étapes de la recette sont décrites à la suite.
En écrivant « le fromage ne tient pas sur la pizza » dans la recherche Google, l’utilisateur obtient « Vous pouvez aussi ajouter 1/8 d’un verre de colle non toxique à la sauce pour lui donner plus de collant.«
En écrivant « je suis déprimé » dans la recherche Google, l’utilisateur obtient « Il y a plusieurs choses que vous pouvez essayer contre la dépression. Un utilisateur de Reddit suggère de sauter depuis le pont du Golden Gate.«
Il y a aussi toutes ces images présentant des humains au regard vide qui sont assez terrifiantes, ou celles présentant des mains pourvues de plus de cinq doigts.
On estime qu’une IA comme Chat-GPT4 (le plus gros modèle à l’heure actuelle) a une marge d’erreur située entre 2,5 et 25%. C’est à dire qu’il peut potentiellement vous répondre n’importe quoi une fois sur quatre, mais vous n’en êtes pas sûr.
Même en prenant le minimum, 2,5% d’erreur. Sur un moteur de recherche comme Google à qui l’humanité toute entière pose 8,5 milliards de questions par jour… Ca en fait des erreurs. Et des fausses informations qui se répandent jour après jour.
Dernière chose : il faut se tenir loin de tout ça
Ce concept d’IA tel qu’on le voit actuellement est une bulle spéculative à l’état pur. En tant que telle, elle est vouée à disparaître rapidement. L’ennui c’est qu’on ne connaît pas encore la date d’explosion de la bulle, ni l’étendue des dégâts elle aura causé.
Évidemment, et pour être complet, il existe des IA qui sont très bien. Elles sont réservées aux universités, aux recherches médicales, aux développements de nouvelles technologies. Ces IA-là n’ont rien à vous vendre et n’ont pas besoin de savoir qui vous côtoyez ni ce que vous regardez à la télé. Elles sont entraînées avec des données universitaires pour faire un boulot précis. Ça ne concerne pas le grand public. D’ailleurs vous n’en entendrez probablement jamais parler.
Alors tout ce qu’il nous faut faire en tant que citoyens lambda, c’est fuir sans attendre et se réfugier dans ce que l’on appelle le web douillet, ou « cosy web ». Là où on est bien, là où tout va bien, là où les gens sont juste là pour être gentils et passer du bon temps. Croyez-le ou non, ça existe. Et curieusement, il n’y a pas d’IA dans ce web douillet.
A vous de le rejoindre et de participer à son extension. C’est facile et c’est chouette. Il y a des gens qui vous y attendent et ils n’ont rien à vendre.